La souris électricité

Publié le 17 novembre 2024

Alors que j’écoutais les infos (anxiogènes, cela va de soi) il y a quelques jours, la journaliste qui parlait des règlements de comptes qui se multiplient dans nos villes ne s’est pas privée du poncif habituel : les jeunes se croient dans un jeu vidéo et ne savent de ce fait plus faire la différence entre le bien et le mal. Parce que les jeux vidéo, bien sûr, ça rend violent. Bande de dégénérés, va ! Et si l’on proposait à cette dame de jouer au puzzle platformer onirique The Spirit and the Mouse pour la convaincre du contraire ?

Créé par les deux développeurs du studio indé Alblune, Luka Lescuyer et Alexandre Stroukoff, The Spirit and the Mouse (édité par Armor Games), sorti sur Steam le 26 septembre 2022, est un jeu totalement chill et feel-good, sans combats ni pression particulière imposée au joueur. On y incarne Lila, une petite souris parcourant les ruelles de Sainte-et-Claire, un petit village français aussi fictif que typique et paisible, au charme suranné. Lasse de ne pas faire grand-chose de son existence, Lila décide de se rendre utile en s’intéressant aux petits tracas des humains de la bourgade. Lorsqu’elle voit une écharpe être emportée par le vent et s’accrocher au sommet du paratonnerre installé sur le toit de la mairie, elle se lance à l’assaut de l’échafaudage appuyé contre le bâtiment en dépit de l’orage qui gronde. Parvenue au sommet de la tige métallique, la foudre s’abat sur elle. Un esprit de l’orage nommé Lumion fait alors son apparition. Tombé littéralement du ciel, il la ranime et lui confie une mission : octroyer des moments de bonheur aux villageois afin de lui ramener des ondes positives dont il pourra se nourrir pour retrouver ses forces perdues lors de l’impact. Pour ce faire, il octroie à la petite souris des pouvoirs surnaturels lui permettant de manipuler l’électricité. Devenue esprit-gardien débutant, Lila devra rendre service, à leur insu, à plusieurs êtres humains résidant dans les différents quartiers de la ville (l’est, le nord et l’ouest), l’idée étant à chaque fois de rétablir ou de stabiliser le courant dans leur commerce ou leur propriété afin qu’ils puissent reprendre le cours de leurs activités (un peintre à besoin de lumière pour poursuivre son œuvre, une étudiante de rallumer son ordinateur pour terminer son mémoire, une restauratrice de rallumer l’enseigne de son établissement…).

Le titre est avant tout un jeu de plateformes, en 3D et en vue à la troisième personne, avec un fort accent mis sur l’exploration et les petites énigmes environnementales (par où passer pour grimper jusqu’à l’objet situé sur la poutre, tout là-haut, sur ce toit en apparence inaccessible ?). On dirige d’abord notre petit mammifère (qu’on fait couiner d’un clic-droit) vers un habitant rencontrant un problème, puis on se poste sous sa fenêtre et on l’écoute se lamenter quelques instants pour déterminer de quoi il a besoin pour se sentir mieux. Une fois l’objectif découvert, il faut à chaque fois retrouver, moyennant un peu d’escalade (on peut régulièrement se déplacer à l’intérieur des fils électriques en se transformant en courant ou monter sur des treillis), une machine appelée Kibblin-box, qu’il s’agira de réactiver pour réparer les dégâts causés par l’orage. Ces appareils sont un peu spéciaux, car pour les faire démarrer, il faut y placer des créatures électriques baptisées Kibblins, disséminées aux quatre coins de la commune. Pour convaincre ces petits êtres turbulents, il faudra s’acquitter de diverses missions (aller chercher un objet, retrouver un code perdu, les aider à construire une machine farfelue…). Lorsque suffisamment de Kibblins ont accepté de retourner dans leur box locale, l’humain ayant retrouvé la joie de vivre nous délivre un cœur bleuté qu’il conviendra de rapporter à Lumion. Il en faudra neuf au total.

Tous les objets métalliques que l’on croise sont électrisés et l’on peut, d’un clic-gauche, absorber leur charge qui sert de monnaie in-game. Une ressource que l’on pourra dépenser sur la place principale du village, auprès d’un Kibblin nommé Kishine, un vendeur qui en échange d’unités de courant nous fournira des cartes des différents quartiers et des capacités supplémentaires (notamment la téléportation jusqu’à lui et la faculté de nous transmuter en électricité pure pour passer à travers des grillages). Il nous vendra également des indices afin de nous aider à trouver les 137 ampoules bleues cachées dans les environnements qui viendront petit à petit reconstituer la guirlande lumineuse disposée au-dessus de la statue plantée au milieu de la place sud, près de la mairie. The Spirit and the Mouse est un jeu idéal pour les complétistes. On peut atteindre le 100 % en une dizaine d’heures sans trop se prendre la tête. Si vous avez un bon sens de l’orientation et une bonne mémoire architecturale, l’aventure se déroulera sans crispations (on ne peut pas mourir malgré des chutes parfois spectaculaires) ni allers-retours fastidieux (les cartes aident bien).

Niveau esthétique, j’ai trouvé les graphismes très plaisants. C’est de l’artisanal, mais l’optimisation est au top. Vous ferez tourner le jeu sans souci sur une config gamer d’il y a huit ou dix ans. L’ambiance typique des petits villages français, un peu hors du temps, est très bien rendue. Avec ses airs de petit Montmartre, repaire d’artistes loin du brouhaha du monde, on aurait presque envie d’aller s’installer à Sainte-et-Claire, ou du moins de s’y poser pour quelques semaines de vacances d’été ! Tout ici respire la mignonnerie et la bienveillance, avec en fond les doux airs de flûte et les apaisantes notes de piano et d’accordéon de la BO concoctée par la compositrice américano-taïwanaise Gisula. Ici, personne ne cache de sombres desseins. Les habitants n’aspirent qu’à des petits bonheurs simples. Le level design, hormis dans quelques recoins très particuliers à la structure un peu trop alambiquée, est irréprochable et n’est pas sans rappeler les joies exploratrices d’un Tinykin (Splashteam, 2022), sorti à la même période, en version cependant plus compacte, équipe réduite oblige.

Je vous recommande donc chaleureusement de vous lancer dans The Spirit and the Mouse, surtout si vous recherchez une expérience courte et sans stress entre deux jeux plus exigeants en termes de temps de jeu et de challenge. Luka et Alexandre travaillent actuellement sur leur second jeu indépendant (ils ont auparavant bossé sur des AAA pendant dix ans, en France et au Canada, avant de fonder leur propre studio Alblune), un puzzle-game intitulé Squeakross: Home Squeak Home, dans lequel ils proposeront leur vision très personnelle (à base de rongeurs, qu’ils chérissent tous deux de manière quasi obsessionnelle) du nonogramme (ou picross). Affaire à suivre !


J’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir avec Luka et Alex. L’interview est à lire ici :


Quelques liens pour compléter :

La page Steam de The Spirit and the Mouse.

La page du jeu sur X.

Le site web du studio Alblune.

L’OST du jeu sur YouTube, par la compositrice Gisula.

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