Chasse aux œufs de spectres
Publié le 12 juillet 2024
L’un des mes objectifs, sur DCDL, est de mettre en avant les petits artisans du jeu vidéo. Auteur indé, je voue une admiration sans bornes, en particulier, aux développeurs solos. À ceux qui abandonnent tout pour créer ex nihilo le jeu de leurs rêves reclus dans leur cave ou leur grenier pendant des années et à ceux qui, de manière peut-être tout aussi risquée, consacrent tout leur temps libre, le soir après le boulot ou les week-ends, à la construction de leur œuvre. Bien sûr, ce long et coûteux processus (coûteux en énergie mentale et en sacrifices) ne débouche pas toujours sur un jeu de qualité. Mais parfois le miracle a lieu et c’est ce qui s’est produit dans le cas d’ANIMAL WELL (titre officiel en majuscules sur Steam), sorti le 9 mai 2024 sur PC et consoles.
Il s’agit d’un jeu concept, metroidvania lorgnant sur le puzzle-game avec une composante exploration très prononcée. Son auteur se nomme Billy Basso. Basé à Chicago, il a travaillé sur le projet pendant sept ans, de 2017 à 2024. Programmeur professionnel dans différents studios, ANIMAL WELL a d’abord été pour lui un hobby auquel il se consacrait en dehors de ses heures de travail. Ce premier projet indé l’a amené à fonder son propre studio, Shared Memory, auquel s’est greffé le producteur Dan Adelman. Le titre a finalement été publié par Bigmode, structure éditoriale créée par deux Youtubeurs, pour qui c’était également le premier jeu.
Dans ANIMAL WELL, on incarne une petite boule de poils de nature indéterminée (un petit rongeur peut-être), livrée à elle-même dans un monde souterrain sombre et mystérieux peuplé tant de créatures familières (lapins, corbeaux, hamsters, crapauds, un espadon, une autruche, un kangourou…) que d’animaux fantastiques (fantômes de chiens et de chats, monstres indéfinissables…). Certains vous regarderont passer sans broncher, certains vous aideront à avancer et d’autres, au contraire, tenteront de vous barrer la route, de vous mordre ou de vous dévorer dès qu’ils détecteront votre présence. Le jeu ne nous donne aucune explication. Cependant, les décors liminaires ont beau être empreints de poésie, les premières mauvaises rencontres et les morts atroces qui s’ensuivent nous font vite comprendre que le but est de faire sortir notre fragile petite bestiole du labyrinthe infernal duquel elle semble être prisonnière. Les puzzles s’enchaînent, parfois très simples et, souvent, requérant adresse et/ou réflexion. Pour faciliter et permettre notre progression dans les différents biomes interconnectés (la map se révèle petit à petit et livre chèrement recoins et raccourcis), on met la patte sur toute une série d’outils fort pratiques, aux usages qu’il conviendra de découvrir et parfois d’inventer par soi-même. La possibilité de produire des petites bulles pour constituer des plateformes éphémère, un frisbee pour activer des leviers à distance, une lanterne ou encore une flûte pour jouer des mélodies… Chaque accessoire, comme dans tout bon metroidvania, permet cela va de soi d’accéder à des secteurs jusque-là inaccessibles. Il n’y a pas de combats à proprement parler, le meilleur choix étant le plus souvent la fuite vers une zone plus sûre, mais l’on notera tout de même plusieurs confrontation avec des boss durant lesquelles il faudra trouver comment neutraliser l’adversaire sans vraiment l’affronter directement.
ANIMAL WELL, soyez prévenu, est un jeu difficile avec beaucoup de backtracking. On débloque bien sûr des moyens de voyager plus rapidement d’un point à un autre de la carte, mais les voyages demeurent dans l’ensemble assez fastidieux. Le petit point négatif du jeu peut-être, malgré un ensemble d’une remarquable qualité. Selon les dires du développeur Billy Basso, les vrais défis commencent après le générique de fin, que j’ai personnellement atteint après une douzaine d’heures. Une nouvelle salle se débloque alors, reliée au reste de la carte, et l’on peut se remettre à ratisser les méandres du dédale souterrain dans lequel on est toujours enfermé. Si les boss ont éte défaits, un second challenge reste à relever : la quête des soixante-quatre œufs. En effet, dans la zone de départ, au centre de la map, se trouve une salle où s’accumulent des œufs que l’on trouve dans des coffres disséminés un peu partout. Après avoir exploré au moins 90 % de la carte et terrassé le dernier boss, je n’en ai trouvé que la moitié. Les joueurs les plus acharnés devront tous les dénicher pour accéder au true ending. D’après Bosso, qui recommande de ne pas aller chercher de soluce en cas de blocage, certains secrets ne devraient pas être découverts avant plusieurs années. C’est sous-estimer, peut-être, le côté tryhard de nombre de gamers…
Concernant les qualités artistiques du jeu, metroidvania oblige, un gros boulot a été fait sur le level design et l’architecture globale du réseau de grottes. Les animations des animaux sont par ailleurs de toute beauté et les jeux d’ombres et de lumières (spectres, flammes, néons, explosions) sont à l’avenant. Les effets sonores très travaillés (cris des créatures, crépitements du feu, bulles qui éclatent) contribuent à enrichir l’atmosphère globale de ce microcosme troglodyte, de même que l’OST, que l’on pourrait qualifier de sylvestre. ANIMAL WELL nous offre une plongée dans un monde perdu regorgeant de mystères, paradis pour spéléologue du virtuel, à la fois effrayant et onirique, où nombre de petites épiphanies attendent le joueur et sauront le faire sourire à l’occasion d’une découverte inattendue, d’un face-à-face avec une nouvelle entité fantasmagorique ou d’un petit miracle d’inventivité livré par le gameplay.
Le deuxième grand metroidvania de 2024 après le très bon Prince of Persia: The Lost Crown (Ubisoft Montpellier) sorti en début d’année.
Quelques liens pour compléter :