Crab Souls

Publié le 6 juillet 2024

Suite au succès planétaire des jeux de type action-RPG du studio FromSoftware (Demon’s Souls (2009), la trilogie des Darks Souls (2011, 2014, 2016), Bloodborne (2015), Sekiro: Shadows Die Twice (2019), Elden Ring (2022)) et de leurs extensions, le genre, réputé particulièrement difficile, a fait des émules. On parle désormais de souls-like. J’en détaillerai les principes et les mécaniques dans les paragraphes qui suivent. Parmi les titres marquants de ces dernières années, on retiendra en particulier The Last Hero of Nostalgaia (Over the Moon, 2022), Lies of P (NEOWIZ, 2023) et désormais Another Crab’s Treasure, troisième production (après le rogue dungeon crawler Going Under (2020) et le jeu d’horreur psychologique Subway Midnight (2021)) du studio Aggro Crab, basé à Seattle.

Sorti le 25 avril 2024, le jeu nous met dans la carapace de Kril, un jeune bernard-l’hermite qui mène une petite vie paisible dans sa bâche, sur l’estran, au bord de l’océan, avec pour seule compagnie la précieuse coquille qui lui sert à la fois d’armure et de logis. Fissurée et rafistolée avec un vieux sparadrap trouvé dans le sable, elle est en triste état, mais il l’aime plus que tout. Un jour, un méchant requin vient l’informer que la reine locale, depuis son château de sable sous-marin, exige de lui le paiement d’un impôt. Comme il ne possède rien en dehors de sa coquille, celle-ci lui est confisquée. Désespéré, il n’a d’autre choix que quitter sa petite mare résiduelle afin d’aller solliciter une audience auprès de la monarque pour tenter de récupérer son bien. Naturellement, les choses ne se passent pas aussi simplement et Kril se retrouve confronté sur-le-champ aux mille dangers des fonds marins.

Pour se défendre face aux premières attaques de crabes et de menu fretin hostile, notre héros s’empare d’une vieille fourchette qui restera notre arme principale jusqu’à la fin de l’aventure, moyennant de nombreuses améliorations successives. Pour se protéger, il trouvera dans cette première zone et dans les suivantes divers détritus qui lui serviront de coquilles de substitution. Bouchons en plastique, vieilles boîtes de conserves, balles de tennis crevées, pots en tous genres, l’océan victime de la pollution humaine a de nombreux abris à offrir au fragile crustacé dont les semblables, par nature, ont pour habitude de se vêtir des coquilles fabriquées par les individus d’autres espèces. Chaque objet octroie à Kril un pouvoir particulier, utilisable en piochant dans la jauge d’umami, une substance magique que l’on peut ramasser un peu partout, dans l’environnement ou en frappant les ennemis (le terme désigne de base la cinquième saveur élémentaire après le sucré, le salé, l’acide et l’amer). Les combats s’avèrent tout de suite plutôt ardus. Les distances sont fondamentales, comme en escrime, et les esquives et parades tout simplement vitales. On peut en effet, comme dans tout bon souls-like, rouler pour obtenir quelques frames d’invincibilité et bloquer les coups, ici en se réfugiant dans sa coquille, afin que le bouclier encaisse les dégâts à notre place. Attention donc à ne pas en abuser, au risque de se retrouver sans protection. Si pour les habitués du genre les premiers affrontement ne constituent pas un réel obstacle, le jeu nous rappelle très vite à la modestie en nous balançant dans la figure au bout de quelques minutes à peine un premier combat de boss plutôt velu. Nephro, le capitaine de la garde du château, une langouste bleue munie d’une lance, vous forcera tout de suite à adopter les bons réflexes.

Au départ, votre barre de vie est minuscule, ce qui crée, comme dans les productions de FromSoftware, une difficulté supplémentaire et, il faut le dire, un peu artificielle en début de partie. Mais pas d’inquiétude, il sera possible de la rallonger et d’acquérir tout un tas d’autres compétences à mesure que l’on gagnera des niveaux d’expérience. Et c’est là toute l’originalité du jeu. Pas d’âmes à récolter ici chaque fois que l’on occit un ennemi, mais de minuscules morceaux de plastique contenus dans les organismes des créatures tuées. Car au-delà de l’aspect ludique d’Another Crab’s Treasure, le titre véhicule un message écolo pour le moins original. Les fonds sont splendides, mais la pollution omniprésente gâte quelque peu la majesté des paysages. Les microplastiques servent de monnaie et constituent donc une forme de richesse, mais ils sont aussi la source de tous les problèmes rencontrés par la faune marine semi-anthropomorphe. Tout comme l’argent des humains, ils corrompent à la fois les corps, les esprits et la nature. Le message anticapitaliste est à peine masqué. Tous les éléments caractéristiques de l’action-RPG à la Souls et de son gameplay si particulier sont donc là. Difficulté dans les combats, un peu de plateforme, recherche d’objets rares, boss épiques, lock des ennemis, recherche constante de la montée en puissance, déblocage de raccourcis pour éviter des détours interminables… Le tout est très bien exécuté. Difficile de trouver des défauts, mis à part peut-être la caméra aux fraises dans les arènes des boss dès que l’on se colle à un mur. Mais cet écueil ne fait-il pas aussi partie intégrante du genre ? Une petite pensée en passant pour le grand singe de Sekiro… Comme dans ce dernier d’ailleurs, Kril dispose d’un grappin, ce qui permet d’accéder plus facilement à la troisième dimension et à une certaine verticalité dans les déplacements. L’essentiel de l’aventure se déroule sous l’eau, mais un bernard-l’hermite n’est pas un poisson et l’on ne peut pas vraiment nager. Juste rallonger un peu les sauts en battant des pinces sur quelques mètres. Et attention en combat, le backstab ne fait pas partie de l’expérience !

Côté direction artistique, on sent le petit budget. Aggro Crab est une structure de petite envergure et, si les environnements flattent parfois la rétine, on pourra regretter par moments des modèles un peu grossiers. Rien de trop grave cependant, car la variété, au rendez-vous, compense ce manque de finesse. Qui plus est, le contraste entre la DA enfantine et l’âpreté du gameplay et du propos global génère un effet saisissant. Lors de votre partie (comptez trente heures pour atteindre le 100 %), vous serez amenés à visiter des biomes aux ambiances diverses. La capitale du royaume, New Carcinia (j’ai joué en anglais, mais une version française existe), où se trouvent les marchands et qui constitue une sorte de hub central, une décharge gigantesque tenue par un malfrat avide de microplastiques qui exploite ses employés, un continent de poubelles passant régulièrement au-dessus du royaume des crustacés, y déversant à chaque fois une pluie de déchets et de boue toxique, ou encore des abysses peuplés d’organismes bioluminescents. La musique ne m’aura pas tellement marqué in-game, mais en réécoutant l’OST sur YouTube, sur la chaîne d’Aggro Crab, je l’ai trouvée particulièment plaisante avec des airs de piano ou d’orgue évoquant à merveille le bruit de l’eau, les notes semblant résonner comme des sons renvoyés par les parois d’une grotte souterraine. Une bande originale qui pourrait être celle d’une nouvelle version du Monde de Nemo ou de La Petite Sirène.

Si la poursuite de la coquille volée demeure le fil rouge de l’intrigue, plusieurs quêtes s’enchaînent, avec notamment une chasse au trésor à partir d’une carte dont on retrouve peu à peu les morceaux. L’intrigue, bien que simple, est fort bien écrite. Les dialogues sont souvent très drôles et parsemés de jeux de mots liés à l’univers marin et a sa faune. Plus important encore, on s’identifie très facilement à Kril, même s’il s’agit d’un crustacé, car la narration suit un schéma certes classique mais particulièrement efficace et immersif. Le héros a au départ une vie simple, modeste, puis il subit tout à coup une profonde et injuste blessure, ce qui le pousse à quitter le petit microcosme où il a toujours vécu, en quête de réparation ou de vengeance. Cela lui permet de grandir et de devenir plus fort que ceux qui l’ont lésé. Une fois les antagonistes terrassés, retournera-t-il se poser dans sa petite flaque ou aura-t-il acquis un goût de la découverte, de la conquête et de la justice si prononcé qu’il l’entraînera vers de nouvelles aventures ? Vous le saurez si vous parvenez à persévérer jusqu’à l’issue du boss rush final !


Quelques liens pour compléter :

Le site d’Aggro Crab.

La page Steam d’Another Crab’s Treasure.

La page d’Aggro Crab sur X.

L’OST du jeu sur YouTube.

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