Un dernier voyage pour nous rassembler tous

Publié le 14 juin 2024

Les artistes barcelonais de Piccolo Studio, avec à leur tête les directeurs créatifs Alexis Corominas et Jordi Ministral, se définissent eux-mêmes comme des artisans. En attestent le logo du studio qui comporte du fil et une aiguille, suggérant un travail fait « à la main », et le nom lui-même qui, en italien, signifie « petit ». L’équipe se compose de développeurs œuvrant ensemble depuis plus de vingt ans. Parvenus à la quarantaine, c’est l’expérience des joies et des coups durs de la vie qui leur a inspiré le scénario d’Arise: A Simple Story, leur premier jeu solo indépendant, sorti sur Steam le 3 décembre 2020 (sur consoles également, mais je parle en tant que pur pécéiste !) et édité par Untold Tales.

Ils y relatent l’histoire d’un vieil homme à la barbe chenue et à la longue chevelure argentée dont l’âme, alors que son clan met le feu à sa dépouille sur un bûcher mortuaire, se souvient des moments forts de son existence. L’action se déroule dans un univers nordique où dominent montagnes enneigées, lacs, fleurs et forêts où pullulent des myriades d’espèces sylvestres. Dix niveaux s’enchaînent où le vieillard (particulièrement massif et musclé malgré son grand âge) arpente toutes sortes de paysages renvoyant aux différentes étapes de sa vie, avec pour fil rouge une histoire d’amour.

Le titre est un platformer 3D plutôt simple, mâtiné d’énigmes environnementales, où priment la narration et l’émotion suscitée par les images évoquées. Le premier biome visité nous donne à voir les collines verdoyantes où se sont rencontrés le protagoniste et sa future compagne lorsqu’ils étaient enfants. Les couleurs vives, joyeuses, évoquent cette époque, celle de la prime jeunesse et de l’innocence. Puis les années passent et des ambiances parfois beaucoup plus sombres nous sont proposées, en fonction des événements vécus. Peu importe la période, les décors semblent toujours vivants, très animés, avec beaucoup de végétation et de mouvements liés au vents, aux cours d’eau, aux intempéries, aux flammes parfois et aux animaux qui déambulent sans s’occuper de nous. On n’y croise par contre aucun autre être humain. Seulement des statues, instants figés surgis du passé. La plupart représentent le vieil homme et sa femme à différents stades de leur histoire. Les traits sont dans ce cas très précis, mais sont en revanche beaucoup plus grossiers lorsque les personnages croisés sont des membres du clan (des nomades peut-être) dont le souvenir s’est estompé dans l’esprit du vieillard. Si l’on se déplace avec les touches Z, Q, S et D, il faut sans cesse jouer avec les flèches directionnelles pour manipuler le temps. En effet, dans chaque monde visité, il est possible de faire avancer ou reculer le cours des choses, parfois de quelques secondes tout au plus et parfois bien davantage pour carrément passer d’une saison à une autre, ce qui influe sur la structure de l’environnement, mais pas sur le protagoniste. On peut ainsi faire monter ou baisser le niveau de l’eau d’un lac ou l’épaisseur de la neige recouvrant une surface, faire s’incliner dans une direction ou une autre des tournesols géants, en fonction de la position du soleil, pour s’en servir comme plateformes, ou encore faire et défaire les dégâts causés par un tremblement de terre pour se frayer des passages à l’occasion d’une périlleuse séquence d’escalade. En s’écartant un peu du chemin le plus direct, il est possible de dénicher dans les décors des petites boules lumineuses qui permettent de débloquer un souvenir précis, une image figée du passé, sous forme de dessins enfantins particulièrement touchants. Trouver ces secrets constitue un défi optionnel, mais il serait dommage de s’en priver, car ils contribuent grandement à la puissance émotionnelle du titre. Quelques passages nous plongent dans l’horreur et d’autres, demandant de la précision, sont un peu crispants, mais le jeu n’est jamais punitif. En cas de décès, on recommence à quelques mètres du lieu du trépas. De toute façon, notre personnage étant déjà dans l’au-delà, on n’a aucun raison de craindre pour sa vie. On ne fait que se balader à l’intérieur de son esprit en manipulant à notre guise ou presque temps, espace et sentiments.

Plusieurs passages du jeu sont vraiment touchants. Le vieil homme et sa femme ont traversé plusieurs moments très difficiles (deuil tragique, catastrophe naturelle…) dont l’intensité est soulignée par la musique mélancolique de David García Díaz (compositeur ayant également accouché de la BO d’Hellblade) et l’onirisme omniprésent. Le début du jeu et la physionomie du personnage laissent envisager un passé de guerrier scandinave, mais il n’en est rien. Si les drames n’ont pas épargné le colosse à l’âge canonique, son existence a été dans le fond plutôt paisible et bucolique. Son couple n’a pas échappé à une certaine forme de violence, mais cela n’a jamais été celle des hommes. Seulement celle, inéluctable, infligée par les éléments et par le destin (froid, feu, secousses sismiques, vieillesse, mort prématurée…).

S’il fallait signaler un défaut, on pourrait citer les contrôles parfois un peu approximatifs qui, me concernant, ont entraîné beaucoup de chutes dans le vide. Mais peut-être serez-vous plus adroit que moi ! Il est à noter qu’il existe un mode deux joueurs. Le premier contrôle dans ce cas le vieil homme et le second les flashbacks et les flashforwards.

Une très belle expérience en somme, à faire en une session si possible, dans un environnement calme, pour se laisser bercer par le conte et réfléchir à notre condition humaine et au caractère éphémère, fragile et précieux à la fois, du bonheur et de l’amour qui parfois dure toute la vie et résonne pour l’éternité.

Piccolo Studio a donné naissance à un autre jeu en 2023, intitulé After Us, qui traite de manière similaire, en mettant l’accent sur la narration, la nostalgie et une direction artistique onirique, d’un monde post-humain surnaturel où Gaia, l’esprit de la vie, tente de faire renaître des espèces disparues en secourant leurs âmes. Je ne manquerai pas de le chroniquer si je trouve le temps d’y jouer dans les mois à venir !


Le game director du jeu, Alexis Corominas, m’a accordé une interview le 11 juillet 2024. La voici, en version française et en version anglaise :


Quelques liens pour compléter la lecture :

Le site officiel du jeu (plusieurs courtes vidéos intéressantes à regarder où les directeurs artistiques parlent du studio et du jeu).

Le site de Piccolo Studio.

Le jeu sur le site d’Untold Tales.

La page Steam d’Arise: A Simple Story.

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