SNIPERHOT Elite
Publié le 9 juin 2024
Dans le domaine du jeu vidéo indépendant, on trouve selon moi deux grandes catégories : les jeux misant avant tout sur la narration, comme les titres d’Octavi Navarro (voir article), et ceux dont l’atout principal est le gameplay, comme Minishoot’ Adventures (voir article). Children of the Sun, sorti sur Steam le 9 avril 2024, appartient à cette deuxième grande famille. Le jeu est, pour l’essentiel, le fruit du travail d’un homme : le développeur berlinois René Rother. Il s’agit de sa première œuvre publiée. On y incarne une jeune fille anonyme dont la famille et le village ont été décimés par les membres d’une secte mystérieuse dirigée par un gourou barbu au faciès et à la dégaine de hippie. L’univers en 3D est plutôt sombre (les missions se déroulent de nuit), sa noirceur violacée contrastant avec les couleurs criardes des cinématiques qui introduisent chaque niveau. Les visuels agressent la rétine tout comme la musique, corrosive, égratigne les tympans.
La jeune fille, armée du fusil de son défunt père, se lance dans une épopée vengeresse, progressant de camp ennemi en camp ennemi pour se rapprocher petit à petit du QG où se trouve le leader des fanatiques. Chaque niveau se déroule sur une map plutôt compacte où sont disposés quelques bâtiments, arbres et véhicules. Les ennemis sont d’abord une poignée, puis une véritable petite armée lors des derniers défis. Notre personnage n’est jamais menacé par les adeptes. Snipeuse, on ne peut la déplacer que de quelques dizaines de mètres sur la gauche ou sur la droite en tout début de partie, juste avant de viser et de tirer l’unique balle dont on dispose. Le gameplay consiste ensuite à contrôler cette balle de façon totalement contraire aux lois élémentaires de la physique. Une fois le tir initial effectué, la caméra s’accroche au projectile et on passe d’une vue TPS (troisième personne) à une vue FPS (première personne), la balle prenant la place de la protagoniste. Après avoir touché un premier ennemi d’un tir direct (il meurt en un coup), on reprend le contrôle du projectile et on peut le renvoyer dans une nouvelle direction, traçant ainsi un chemin composé de segments connectant les cibles entre elles jusqu’à ce que l’on ait entièrement nettoyé la carte de toute présence ennemie. Attention, si la balle touche le sol, un mur, un arbre ou sort des limites du terrain de jeu, la partie s’arrête et il faut recommencer le niveau. Quelques objets autorisent un nouveau détour et peuvent être létaux (le réservoir d’essence d’un véhicule qui explose si on l’atteint ou une bonbonne de gaz produisant le même effet). Il en va de même pour les quelques animaux que l’on croise (poissons ou oiseaux permettant à la balle de prendre de la hauteur avant d’être relancée vers le plancher des vaches). Certains niveaux présentent des décors où s’invite le paranormal (voitures, débris ou ennemis en lévitation) et l’ensemble fait la part belle aux effusions de sang (les mises à mort sont bien gores).
Si les premières cartes sont plutôt simples, les situations proposées se corsent très vite, avec des ennemis parfois difficiles à débusquer au premier essai (il est possible de les marquer pour se faciliter la tâche lors des tentatives suivantes) et de nouvelles mécaniques contraignantes introduites au fil de la vingtaine de niveaux qui constituent le titre (ennemis en armure que l’on ne peut abattre qu’en faisant partir la balle de suffisamment loin pour la faire accélérer en l’air assez longtemps pour lui donner suffisamment de puissance, ennemis entourés d’une aura protectrice, zones à atteindre en priorité sur les corps pour débloquer des bonus permettant de dévier la balle une ou deux fois en cours de trajectoire…). Vous l’avez compris, Children of the Sun n’est pas vraiment un jeu de tir, mais plutôt un puzzle-game. Une variante de SUPERHOT dissimulée derrière le masque d’un Sniper Elite.
Mais ce n’est pas tout. Children of the Sun est aussi un jeu de scoring. En effet, plus vous êtes rapide, efficace et direct dans vos actions, plus vous marquez de points. Votre classement au sein de la communauté des joueurs s’affiche même en fin de niveau. Niveaux qui comportent tous un objectif annexe à atteindre correspondant aux succès à débloquer sur Steam (enflammer une balle en la faisant traverser un rideau de feu, faire passer le projectile à l’intérieur d’un bâtiment à l’occasion d’un détour optionnel…). Le jeu se boucle en cinq heures environ, ce qui ne laisse pas le temps de se lasser, et la difficulté est très bien dosée (jamais frustrante, car jamais excessive). Certains trouveront peut-être l’expérience un peu courte. Il semblerait, pour rassurer ceux-là, que Rother envisage d’étoffer le contenu dans les mois à venir.
Le jeu est édité par Devolver Digital (à l’origine des très bons Hotline Miami, Enter the Gungeon, Cult of the Lamb ou encore Katana Zero), structure connue pour sa capacité à détecter et à prendre sous son aile des projets indés au départ confidentiels, mais au gameplay et au style graphique particulièrement originaux et prometteurs. Le travail et le talent de René Rother n’ont pas échappé à leur radar. L’artiste a ainsi pu bénéficier d’un soutien de poids pour mener à terme ce premier gros projet, pour notre plus grand bonheur !
Quelques liens pour compléter :