À l’aube d’une nouvelle ère (du jeu vidéo)

Publié le 16 février 2025

Le secteur du jeu vidéo traverse depuis de nombreux mois une grave crise existentielle. Les attentes du public changent, les modes de consommation évoluent, les coûts de production explosent, les licenciements se multiplient, les grosses franchises sont de plus en plus décriées et de plus en plus de joueurs tendent à se diriger vers des productions d’envergure plus modeste que celle des AAA. A-t-on vraiment besoin de jeux photoréalistes truffés de ray tracing ou d’aventures s’étirant sur des dizaines, voire des centaines d’heures ? Beaucoup de passionnés ne supportent plus le Mc Do et lui préfèrent, gourmets, des expériences vidéoludiques moins indigestes. Face au caractère de plus en plus précaire et de plus en plus déshumanisé d’une profession où la sécurité de l’emploi n’est plus de mise et où l’on prédit que les intelligences artificielles viendront bientôt se substituer, de gré ou de force, à la créativité – certes imparfaite – de l’être humain, beaucoup de développeurs choisissent de prendre la tangente et de se lancer dans la confection indépendante de jeux vidéo correspondant davantage à leurs aspirations et à l’image qu’ils se faisaient du métier lorsqu’ils rêvaient plus jeunes de l’exercer.

Darenn Keller, jeune développeur français diplômé en programmation et en game design, fait partie de ceux-là. Après trois années chez Ubisoft Bordeaux, où il a travaillé sur les licences Ghost Recon et Assassin’s Creed, Darenn a décidé de quitter l’industrie pour se mettre à travailler sur sa première production indé. Après avoir défini les bases de Dawnfolk lors d’une game jam en 2022 (où il fallait créer en quelques jours un jeu tournant avec une résolution de 64 x 64 pixels), il a tout plaqué pour s’atteler à temps plein au développement, sous Godot (un moteur de jeu open source gratuit), de son concept. Le jeu est sorti sur Steam le 13 février 2025 (une démo est également disponible depuis quelques semaines) après deux ans de travail et un contrat signé avec l’éditeur Astra Logical.

En général, pour décrire un jeu, on commence par indiquer à quelle catégorie il appartient. Si je vous dis FPS, roguelike, puzzle game ou encore platformer, vous voyez tout de suite de quoi il est question. Mais il existe aussi des titres très difficiles à classer. Mélanges de genres, ils refusent de rentrer dans une case. Cases qui constituent d’ailleurs la base du gameplay de Dawnfolk, un city builder minimaliste agrémenté de petites notes de survival horror (pour l’ambiance). On y incarne le chef du « peuple de l’aube », une civilisation qui se meurt suite à l’invasion de son monde par les forces des ténèbres. Déterminé à rendre au royaume sa splendeur d’antan, on réveille la divinité locale, dénommée Lueur (une flammèche anthropomorphe), pour lui demander de l’aide. Dans la première mission du mode histoire, intitulée « Dernier espoir », le but est de reprendre le contrôle d’une première région. La carte, en vue du dessus comme dans les jeux de stratégie en temps réel, est découpée en une multitude de carrés. Sur chaque case se trouve(ra) un bâtiment ou une unité de nature (une forêt, une mer, une plaine, un désert…). Autour de notre édifice principal, le foyer, quelques carrés sont baignés de lumière. Les cases plus éloignées sont grisées, comme envahies par un brouillard de guerre qu’il nous appartiendra de dissiper. Le reste de la carte est totalement plongé dans l’obscurité. On ignore alors jusqu’où elle s’étend. Pour développer notre ville et repousser les ténèbres, il nous faudra gérer plusieurs ressources : la nourriture, la main-d’œuvre, les matériaux et, le plus important, la lumière. Pour ce faire, il faudra construire des champs, des tentes, des cabanes de bûcherons, des églises, des mines, des observatoires et toute une foultitude de bâtiments consommant certaines ressources et en produisant d’autres. La lumière est le nerf de la guerre, car c’est elle qui permet de percer l’obscurité en éclairant de nouvelles zones. Elle sert aussi d’arme pour lutter contre les assauts de Nuit, le pendant sombre de Lueur, qui fera régulièrement déferler sur notre bourgade (cité tentaculaire en fin de partie) des tempêtes ténébreuses menaçant de dévorer nos édifices les uns après les autres. Si la corruption atteint notre foyer, la partie s’achève. Chaque affrontement (contre les ténèbres, les adorateurs de monolithes sombres, des loups, des pirates, des orcs ou des elfes belliqueux) donne lieu à un bref mini-jeu orienté arcade à base de réflexes, tout comme d’ailleurs la récolte de fruits ou l’abattage d’arbres pour rendre un terrain constructible. Ces derniers ne sont jamais punitifs. En cas de performance médiocre, vous aurez dépensé un peu plus de ressources qu’en cas de perfect, mais cela n’aura pas plus de conséquences que cela. Dawnfolk, sans être un casual game, ne cherche pas à sanctionner le joueur. En cas de mauvaise gestion par exemple, un simple avertissement vous indiquera qu’il faudrait penser à redresser la barre avant de voir l’ensemble de votre économie s’effondrer.

Avec Dawnfolk, c’est avant tout une vision que Darenn Keller a voulu nous transmettre. Un désir de revenir aux racines du jeu vidéo et de permettre aux joueurs de retrouver le plaisir de l’exploration (la conquête de nouveaux territoires) et de l’expérimentation (le jeu regorge de surprises, de découvertes inattendues et propose même quelques choix moraux (si un pêcheur entre la vie et la mort peut nous indiquer la route vers un trésor lointain, faut-il aller chercher ce trésor ou rentrer au plus vite pour sauver le marin ?)). On peut accélérer ou ralentir le déroulement du temps (une fois par jour les bâtiments livrent leur production), ce qui fait que l’on n’est jamais vraiment sous pression. Le titre a été pensé pour des sessions courtes et relaxantes. Le mode histoire, constitué d’une succession de huit missions, se boucle en six heures environ. On peut s’arrêter là ou choisir de se frotter aux défis annexes. Les succès Steam sont nombreux et raviront les complétistes. On notera que le jeu, en pixel art, tourne sur n’importe quelle config et ne nécessite ni manette (même si elle est recommandée), ni souris, car tout peut se faire à l’aide des touches Z, Q, S, D et Espace. « Accueillant » est peut-être l’adjectif qui résume le mieux l’expérience. Un récit interactif simple mais engageant, avec un intérêt toujours renouvelé par l’émergence de sous-histoires, pas de prérequis, pas de tuto interminable, tout est intuitif et immédiatement compréhensible. Pour plus de challenge, plusieurs modes de difficultés sont proposés, ce qui fait que les vétérans avides de gameplays retors pourront aussi y trouver leur compte et prolonger l’aventure sur des dizaines d’heures.

Un mot enfin sur la direction artistique. La palette de couleurs, que l’on pourrait qualifier de sylvestre, fait la part belle à la nature. Il y a ici un petit côté Age of Empires totalement assumé. Le pixel art transpire l’amour du jeu vidéo. Chaque case propose des animations très soignées. La mignonnerie omniprésente dissimule un véritable travail d’orfèvre. On se détend en jouant à Dawnfolk, ce à quoi la musique contribue également. Par moments, on croirait presque reconnaître quelques notes du Pouvoir des Fleurs de Laurent Voulzy. Le ton général du jeu est à peu près celui-là. Darenn Keller travaille actuellement sur son deuxième jeu, un certain B-Type: Space Builder, un shoot them up doublé d’un jeu de stratégie et de construction dans l’espace. On a hâte d’en savoir plus !


Quelques liens pour compléter :

La page Steam de Dawnfolk.

Le site officiel de Dawnfolk.

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