Interview recueillie le 2 août 2024

Sur DCDL, j’ai pour habitude de mettre en avant les jeux indépendants que j’ai appréciés et leurs développeurs, mais le monde du jeu vidéo ne se limite pas à ses joueurs et à ses créateurs. D’autres acteurs ont leur importance, en particulier les influenceurs, critiques et autres curateurs. Pour cette raison, j’ai décidé de me lancer dans l’exploration de ce microcosme en allant directement au contact de ses membres les plus investis. Je suis depuis quelques mois la chaîne YouTube du vidéaste Bibi300 avec grand intérêt et trouve son travail de grande qualité, ce pourquoi je l’ai choisi pour lancer ce nouveau format. Il s’agit ni plus, ni moins, d’un des pionniers du youtubing vidéoludique français.


Kévin, alias Bibi300

Salut Bibi, merci beaucoup d’avoir accepté cette interview. Tout d’abord, comment t’appelles-tu et quel âge as-tu ? D’où vient ton pseudo, Bibi300 ? Ton accent te trahis, mais je te laisse confirmer quand même : tu viens des Hauts-de-France, n’est-ce pas (je suis moi-même né à Arras) ?

Je m’appelle Kévin, j’ai 36 ans et, en effet, je viens bien des Hauts-de-France ! J’ai choisi le pseudonyme Bibi300 en rapport avec le personnage Bibi Orunitia (ou Vivi aux US), qui est l’un des protagonistes qui va nous accompagner dans le jeu Final Fantasy IX. Il me représentait pas mal à l’époque, avec ce côté introverti mais déterminé, toujours prêt à aider les gens qu’il aime.

Tu as lancé ta chaîne en 2006, un 3 août, avec une courte vidéo sur le célèbre Sonic The Hedgehog 2 sur Megadrive, puis tu sembles l’avoir mise de côté pendant quelque temps avant de te mettre à l’unboxing et aux tests de manière très régulière. Pourquoi cette envie de te lancer sur YouTube, à l’époque où la plateforme était encore balbutiante, pour y parler de jeu vidéo ? Comment décrirais-tu l’identité de ta chaîne ?

À l’époque, j’étais surtout sur le site jeuxvideo.fr (qui a fermé depuis). Ils avaient une section appelée jv.tv où les créateurs de contenu amateurs pouvaient envoyer des vidéos, donc j’avais commencé à mettre quelques vidéos sur YouTube et ensuite j’ai tout mis sur jv.tv. Mais comme je ne voulais pas la laisser tomber cette chaîne, j’ai décidé de mettre du contenu type unboxing (donc déballage de jeu vidéo en édition collector), pour continuer à faire en sorte qu’elle existe. J’ai passé tout mon temps sur Dailymotion ensuite, où j’ai produit une grosse partie de mon contenu pendant huit ans environ. En 2017, j’ai voulu évoluer. C’est pour cela que je suis allé sur YouTube à ce moment précis pour continuer à créer du contenu mais avec une visibilité plus importante, que je n’avais pas sur Dailymotion. L’identité de la chaîne, depuis ce moment, c’est principalement du test, des previews et du gameplay de jeux vidéo où l’objectif est de donner mon avis, de la façon la plus neutre possible.

Tu publies des vidéos de manière quasi quotidienne. Comment t’organises-tu ? La logistique en arrière-plan doit être dantesque pour réussir à jouer à tous ces jeux, à préparer tes vidéos et à les enregistrer. Joues-tu parfois juste pour le plaisir ou consacres-tu toutes tes heures de gaming à des jeux dont tu parleras sur ta chaîne ?

C’est en effet toute une organisation. Je produis mes vidéos avec une semaine de décalage (en gros, ce que je produis dans la semaine X, j’envoie pour que ce soit disponible en X+1), ce qui me permet de pouvoir prendre plus de temps et ainsi de produire sans contraintes et d’éviter que cela ne prenne trop de place par rapport à mon travail IRL. Je joue encore pour mon plaisir, oui. Il n’est pas rare que je joue à des anciens jeux que j’ai aimés, juste par plaisir, et parfois je joue à des nouveaux jeux sans pour autant me dire qu’il y aura derrière du gameplay ou une vidéo dessus. Il faut garder ce côté « plaisir » et découverte. C’est important, surtout dans ce média.

D’un point de vue financier, ta chaîne te rapporte-t-elle assez d’argent pour que tu puisses vivre de tes vidéos ou as-tu besoin de travailler à côté ? Si oui, cela me semble surhumain, car vu la densité du contenu que tu nous proposes, ça ressemble à un taf à temps plein ! Joues-tu parfois à des jeux sur la demande d’éditeurs, pour pouvoir être rémunéré ? Achètes-tu tous les jeux que tu testes ou reçois-tu fréquemment des clés te permettant de tester gratuitement un grand nombre de titres ?

Non, malheureusement l’âge d’or de YouTube n’existe plus aujourd’hui, donc impossible d’en vivre correctement (d’où le fait que j’ai un travail à côté). Je reçois pas mal de clés d’éditeurs pour tester les jeux, mais ça m’arrive encore d’acheter mes propres jeux, parfois même les deux (recevoir un jeu gratuitement et quand même acheter le jeu pour récompenser le studio si le jeu m’a plu). De ce fait, l’ensemble me permet d’avoir une stabilité financière et d’éviter de trop dépenser sans pour autant en vivre comme je l’aurais aimé, mais ce n’est pas grave. C’est le jeu du YouTube Game. Comme on le dit très souvent : il y a plus de perdants que de gagnants, surtout si l’on a n’a pas les bons contacts.

Quels sont tes goûts en matière de jeu vidéo ? Tu testes des jeux d’à peu près tous les genres, mais aimes-tu tout ce que tu testes ou cherches-tu simplement à balayer tout le spectre vidéoludique par souci d’exhaustivité ?

J’adore tout ce qui est jeu d’action/aventure type Uncharted ou Tomb Raider par exemple, les souls-like, les roguelites, mais aussi les RPGs ou J-RPGs également, ou encore les jeux d’action pure et les jeux narratifs, mais je ne suis pas très friand par exemple des jeux de gestion ou de stratégie comme Starcraft, pour ne citer que lui. Néanmoins, je suis curieux de base et j’aime aussi tester des choses en JV qui pourraient me donner envie et pourquoi pas provoquer une petite surprise de découverte (j’avais essayé par exemple Mutant Year Zero, un jeu tactique d’il y a quelques années, et c’était génial).

Quels sont les jeux qui t’ont le plus influencé, particulièrement dans l’enfance, et qui ont fait naître en toi la passion du JV ? Quels jeux t’ont particulièrement marqué sur l’ensemble de l’année 2023 – 2024 ?

Oh, tellement de jeux quand j’étais jeune ! Mass Effect, Kirby’s Adventure (NES), Super Mario Bros 3 (NES), Chrono Trigger (SNES), la saga Final Fantasy, Bioshock, Sonic The Hedgehog (Megadrive), Goldeneye 007, Perfect Dark et Banjo-Kazooie ou encore Super Mario 64 (N64). Je pourrais t’en citer encore plein d’autres, mais ça prendrait trop de place car j’ai tellement joué à l’époque que j’ai découvert des tonnes de belles choses. Cette année, j’ai beaucoup aimé FF7 Rebirth, Minishoot’ Adventures ou encore le DLC d’Elden Ring et il y a encore pas mal de JV qui vont arriver en fin d’année et qui, je l’espère, seront à la hauteur de nos attentes parfois (trop) élevées.

Que penses-tu de l’état actuel de l’industrie ? Le secteur du jeu vidéo traverse une crise et la production, pléthorique, crée une concurrence délirante qui empêche beaucoup de titres d’êtres financièrement viables. Crois-tu que l’abondance des sorties est plutôt une richesse ou un danger ? Avec les années, en tant que vieux gamer (j’ai bientôt quarante ans), je me suis lassé des AAA qui proposent toujours la même chose et nous forcent à investir dans du nouveau matériel pour pouvoir compter les pores de peau du héros en 4K à 120 FPS. Je leur préfère les jeux indés aux gameplays novateurs, aux formats plus courts (difficile de consacrer 200 heures ou plus à un jeu quand on a un taf et une vie de famille à gérer) et aux styles graphiques (le pixel art par exemple) souvent somptueux sans pour autant nécessiter une bécane de la NASA. Penses-tu que l’avenir du jeu vidéo est là ?

L’état actuel de l’industrie est assez critique. Pour cette année 2024, nous avons déjà un triste record du nombre de licenciements dans les studios (restructurations, départs ou licenciements secs), ce qui est catastrophique. Mais à cause de l’époque Covid, les studios pensaient que c’était l’Eldorado, donc ils ont dépensé sans compter face à une nouvelle façon de consommer le JV. Seulement, quelques années après, le tout est revenu à la normale et ils n’ont pas su prendre les bonnes décisions, ni avoir la bonne vision d’un avenir qui aurait pu être radieux. Le constat est donc accablant et j’espère sincèrement que l’on reviendra à une industrie plus propre et moins « bling-bling ». On constate d’ailleurs déjà certains changements : les AAA n’ont plus autant la cote qu’avant, ne sont plus aussi incroyables qu’avant et c’est pas plus mal. Ça laisse de la place aux autres productions AA ou indépendantes (souvent très qualitatives). Concernant les dépenses parfois faramineuses pour produire un gros jeu, là aussi il va falloir sérieusement se calmer (presque 300 millions de dollars pour la production d’un jeu comme Spiderman 2, ou presque 2 milliards estimés (!), marketing compris, pour le prochain GTA 6). Ce n’est pas tenable sur le long terme.

Juste un mot sur l’IA. Elle risque d’être de plus en plus utilisée dans les années à venir dans les sphères artistiques, au risque de faire disparaître des emplois. Ubisoft évoque déjà la possibilité de générer les dialogues de PNJ par IA de manière dynamique dans ses prochaines productions. Bye-bye les auteurs et les voice actors… Trouves-tu cette possibilité attrayante ou au contraire rebutante ? Utilises-tu l’IA dans tes vidéos, pour par exemple générer tes vignettes ou t’aider à synthétiser des documents ?

Non, je n’utilise pas l’IA pour produire des vidéos, car la quasi majorité de mes productions ne sont pas montées, comme on le voit partout. On reste sur du ressenti et donc du « parler vrai » sans coupure ou autre. Pour ce qui est de l’industrie, ça dépend encore une fois de comment elle sera utilisée. Si l’IA est une forme d’aide pour produire plus vite des choses qui sont difficiles de base, pourquoi pas (par exemple, produire plus vite des assets de jeux, des textures ou ce genre de choses). Par contre, si l’IA est utilisée pour remplacer des métiers comme designer, artiste ou toute autre compétence venant de l’humain, je suis ouvertement contre. Nous devons (nous au sens large) mettre en avant les artistes qui produisent des choses exceptionnelles dans les jeux, de par la direction artistique ou scénaristique. Les remplacer par de l’IA, qui ne fera que singer ce qu’elle a ingurgité, c’est juste impossible.

Quels sont tes plans pour les années à venir ? Penses-tu poursuivre ton travail de youtubeur tant que cela sera possible ? Envisages-tu de créer de nouveaux formats ?

Je me suis donné jusqu’à la fin de la génération actuelle pour prendre une décision et savoir si je continue ou pas (donc la génération PS5 / Xbox Series). Tout dépend du chemin pris par les jeux vidéo à l’avenir. Si je m’y retrouve encore, alors je continuerai tant que j’en aurai l’envie et que j’aurai le fameux « feu sacré ». Si ce n’est pas le cas, alors ça sera la fin de la chaine et du contenu. Je ne me vois pas faire autre chose que du contenu gaming. L’avenir nous éclairera et nous le dira.

Pour finir, une petite question piège : tu es plutôt PC ou consoles ? (Attention, je suis un pur pécéiste, mais je ne jugerai pas, promis !).

Ha, ha ! Eh bien, je suis consoleux de base. J’ai commencé avec la NES, mais je bascule de plus en plus vers le PC depuis pas mal de temps (j’ai eu une période pécéiste très forte de 2018 à 2022). En même temps, j’aime aussi le confort que procure une console de jeu, avec le petit canapé et la grande TV pour profiter. Tout dépend du moment ! 😀

Merci beaucoup, Bibi, pour tes réponses et pour tout le boulot que tu fournis sur ta chaîne ! Le monde du jeu vidéo est une jungle (ou un puits sans fond, au choix) et on a besoin de gens comme toi pour nous aider, nous pauvres joueurs, à séparer le bon grain de l’ivraie. Ouh, yeah !


Florian Baude (Des Clics & des Lettres)


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