Interview recueillie le 29 septembre 2024
Dans cette nouvelle interview sur DCDL, Kyle Thompson, développeur solo de trois somptueux metroidvanias, a accepté de répondre à quelques questions. Il nous parle de la création de ses jeux Sheepo (2020), Islets (2022) et Crypt Custodian (2024) (voir article ici) et partage avec nous sa vision du jeu indépendant. Bonne lecture !
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Bonjour Kyle, merci d’avoir accepté cette interview. Je viens de terminer Sheepo après avoir fini Crypt Custodian et Islets. Ce sont des metroidvanias éblouissants et Crypt Custodian sera le premier du genre auquel mon fils de sept ans jouera sur sa Switch. Il m’a regardé faire une grande partie du jeu sur PC et l’a adoré. Les mondes que tu as créés sont d’une beauté incroyable et le fait que tu aies développé ces trois jeux en solo rend le tout encore plus impressionnant. J’aimerais connaître un peu mieux l’homme qui se cache derrière l’œuvre.
Tout d’abord, pourrais-tu nous parler un peu de toi ? Quel âge as-tu ? D’où viens-tu ? Quels ont été tes parcours universitaire et professionnel ? Vis-tu de la création vidéoludique ou s’agit-il d’une passion à laquelle tu te consacres en dehors des heures de travail ?
Merci pour cette élogieuse présentation ! Je m’appelle Kyle, j’ai 32 ans et je vis aux États-Unis. J’ai commencé à apprendre à concevoir des jeux quand j’étais ado, puis j’ai arrêté pendant presque dix ans et j’ai repris après mes vingt-cinq ans. Quant à mon parcours universitaire et professionnel, il n’y en a pas vraiment ! Je ne suis pas allé à l’université et j’ai passé l’essentiel de ma vie d’adulte à enchaîner divers petits boulots de créateur freelance. Néanmoins, créer des jeux est désormais mon métier à temps plein et je suis conscient de la chance que j’ai de pouvoir faire ça. En parallèle du développement de jeux vidéo, j’essaie de faire des activités en extérieur, histoire de m’éloigner un peu des écrans. Récemment, mon mari et moi avons acheté un kayak et nous faisons pas mal de sorties sur la rivière qui se trouve près de chez nous. Plus généralement, j’aime beaucoup produire des trucs, peu importe le médium, alors je touche un peu à tout.
Les trois jeux que tu as créés jusqu’ici sont tous des metroidvanias. Ce genre de jeux n’est pas le plus facile à faire. Les metroidvanias, en termes de gameplay et de level design sont denses et complexes. Pourquoi as-tu choisi d’explorer ce genre en particulier ?
Ç’a toujours été mon genre préféré et un genre que je me pensais capable de créer. Les metroidvanias sont des platformers 2D d’un niveau élémentaire et je me sentais suffisamment à l’aise pour m’y attaquer d’entrée de jeu.
Tu as conçu tes jeux tout seul, si je ne me trompe pas. Les graphismes, la programmation, l’écriture, tu as tout fait. À part la musique, composée par ton frère Eric. Pourrais-tu me parler de cette collaboration familiale ? Ton frère travaille-t-il lui aussi dans le jeu vidéo ? Est-il un compositeur professionnel ?
Oui, il fait de la musique depuis que nous sommes enfants, alors quand j’ai commencé à programmer Sheepo, le contacter m’a paru être un choix évident. Eric compose en plus de son vrai travail, mais cette activité s’est développée au point de devenir une sorte de deuxième boulot.
Parlons du processus créatif. Dans tes jeux, les visuels sont splendides (tout particulièrement dans Crypt Custodian), il n’y a pour ainsi dire aucun bug, les contrôles répondent toujours très bien, la narration et le rythme global sont impeccables… Disons que si quelqu’un m’avait dit que ces jeux avaient été développés par une équipe de quinze personnes, je n’aurais pas été surpris. Comment es-tu parvenu à investir autant de temps et d’énergie dans tes jeux ? Tu sembles être capable de nous offrir un nouveau jeu tous les deux ans. Inventer l’univers et le gameplay, créer les graphismes, s’occuper du level design, coder, tester et corriger, combien de temps consacres-tu à chaque étape ?
Merci ! Je dirais qu’il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, c’est une question d’envergure. À chaque stade, j’essaie de me limiter à des idées fortes et amusantes qui ne soient pas trop consommatrices de temps. C’est-à-dire que je m’évertue à construire des systèmes qui restent simples et j’évite de rajouter sans cesse des petits détails, ce qui finirait par donner un jeu trop gros pour que je puisse le gérer. Lorsqu’on construit un jeu, la qualité ne fait en réalité que baisser lorsqu’on applique des rustines par-dessus des rustines. Alors du moment que je suis à peu près content du résultat, je ne me soucie pas trop des petites imperfections. D’autant plus qu’on peut vite mettre le doigt dans un engrenage infernal : celui qui nous pousse à corriger le jeu encore et encore sans qu’on n’en voie jamais le bout. Sur Sheepo, j’ai investi un nombre d’heures complètement déraisonnable (à peu près quatre-vingts heures par semaine), mais pour Islets et Crypt Custodian, j’ai essayé de diminuer à quarante heures de travail par semaine en étant vraiment concentré et j’ai arrêté de bosser les week-ends pour pouvoir recharger mes batteries.
Puisque tu es devenu développeur, je crois pouvoir supposer sans risques que ton amour pour les jeux vidéo n’est pas né lorsque tu as commencé à poser les bases de Sheepo. À quels jeux jouais-tu quand tu étais gosse ? Quels sont les jeux qui t’ont le plus influencé ? Quels jeux récents as-tu particulièrement appréciés (si tu trouves encore le temps de jouer) ?
Enfant, mes jeux préférés, c’étaient Spyro et Crash Bandicoot. Jeune ado, j’ai beaucoup joué à des jeux indés freeware comme Knytt Stories et An Untitled Story qui ont beaucoup influencé mes jeux. Aujourd’hui, je joue surtout aux metroidvanias créés par d’autres développeurs, mais je suis disposé à essayer n’importe quoi. Cette année, il y a deux jeux que j’ai vraiment appréciés : Minishoot’ Adventures (voir article ici) et Moonlight Pulse.
Comme je l’ai dit tout à l’heure, mon jeune fils joue en ce moment à Crypt Custodian et il adore ça. Visais-tu un public en particulier quand tu as conçu le jeu ? Croyais-tu qu’il attirerait essentiellement des adultes ou l’as-tu imaginé en te disant qu’il pourrait aussi plaire à des enfants ?
Je n’ai pas cherché à cibler un public en particulier. Je pense que mes jeux sont susceptibles d’intéresser à peu près n’importe quelle tranche d’âge et je tâche surtout de faire le genre de jeux auquel j’aimerais jouer moi (et ceux que je me sens capable de créer).
Souffres-tu d’une quelconque façon de la crise que l’industrie est en train de traverser ? Des centaines de jeux sortent tous les mois sur Steam (je suis un joueur PC), dont beaucoup sont bons ou du moins intéressants. Penses-tu qu’il y a une surproduction ? À quoi ressemblera le futur du jeu vidéo ? Les pépites indés peuvent-elles rivaliser avec les AAA mainstream et un jour, peut-être, les remplacer (perso, je le souhaite !) ?
Je me sens très chanceux, car pour ma part je ne ressens aucun stress à ce sujet. Mais je compatis à la douleur de ceux qui sont impactés ! Je suis un relativement petit poisson dans le milieu et, pour survivre en faisant des jeux, je n’ai pas besoin d’atteindre le même nombre de ventes qu’une grosse équipe de développeurs. D’un côté, l’industrie du jeu vidéo semble rencontrer plus de succès que n’importe quelle autre industrie créative reposant sur la passion de ses auteurs. Sûrement parce que la barrière à l’entrée est élevée et que les gens achètent toujours des jeux (alors que d’autres industries créatives comme la musique, le cinéma ou la TV reposent toutes sur des services de streaming et des intermédiaires pour continuer à rencontrer leur public). D’un autre côté, cependant, faire des jeux reste très difficile. Il y a beaucoup de gens qui veulent tenter leur chance et la plupart ne parviennent à en tirer assez de revenus pour vivre. Néanmoins, je suis persuadé qu’il y aura toujours de la place pour des indés à succès.
Pour conclure, pourrais-tu nous parler de tes prochains projets ? Tu sais que tes fans s’attendent à ce que tu sortes un nouveau jeu en août 2026, n’est-ce pas ? Vas-tu t’essayer à un autre genre ? As-tu déjà envisagé de sortir un DLC pour l’un de tes jeux ?
DLC, j’y ai déjà un peu réfléchi. Lorsque je viens de terminer un projet, d’ordinaire, je suis plus excité à l’idée d’en démarrer un nouveau plutôt que de revenir sur un jeu terminé, mais je ne rejette pas complètement l’idée !
Mille fois merci, Kyle, pour tes réponses et pour avoir offert aux joueurs ces fabuleux voyages vidéoludiques !
Florian Baude (Des Clics & des Lettres)
L’ŒUVRE DE KYLE THOMPSON (article sur le développeur)