Interview recueillie le 22 juin 2024
Lorsque j’ai créé DCDL, j’ai annoncé que j’essaierais d’inclure dans mes articles des interviews de développeurs de jeux indépendants. Eh bien, voici la première ! Lee Williams, co-auteur, aux côtés de Paul Hart, de Cryptmaster (voir article ici), un dungeon crawler fascinant reposant sur des énigmes à base de mots, a eu la gentillesse de répondre à quelques questions. Bonne lecture !
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Bonjour Lee, merci d’avoir accepté cette interview. Tout d’abord, j’aimerais en savoir un peu plus sur vous et votre complice Paul Hart. Quels ont été vos parcours professionnels respectifs ? Quel rôle chacun d’entre vous a-t-il joué lors de la création de Cryptmaster ? D’où venez-vous et comment avez-vous été amenés à collaborer pour concevoir ce jeu ? Étiez-vous les seuls à travailler sur le projet ?
Avec plaisir ! Je viens du Royaume-Uni et Paul est néo-zélandais. De fait, il nous faut jongler entre les différents fuseaux horaires lors de nos sessions de travail, mais nous faisons cela depuis un bon bout de temps et maîtrisons (presque) à la perfection l’art du contournement de ce léger obstacle ! Paul s’occupe de l’intégralité du code et des graphismes et moi j’assure toute la partie écriture (ainsi que, pour Crypmaster, le voice-acting). Nous échangeons aussi beaucoup autour du design général. Nous avons tous les deux une expérience conséquente dans nos domaines respectifs et nous avons travaillé ensemble dans le passé sur plusieurs projets de moindre envergure. Le noyau dur de l’équipe était composé de nous deux et de notre incroyable compositeur Surrashu, mais à un stade avancé du développement nos éditeurs chez Akapura nous ont été d’une grande aide.
Cryptmaster appartient avant tout, me semble-t-il, au genre du dungeon crawler. Il propose une combinaison d’éléments retro et de mécaniques novatrices et originales, avec la fluidité qui sied aux jeux modernes. Pourquoi avez-vous choisi de revisiter ce genre qui semble aujourd’hui un peu désuet ? Et pourquoi le choix d’une direction artistique en noir et blanc ?
Je crois que, pour Paul comme pour moi-même, c’était un genre permettant d’exploiter beaucoup de références issues de nos jeunes années. Celles qui ont formé nos identités de joueurs et, plus tard, de développeurs. Le style artistique vient de là aussi. Nous voulions qu’il rappelle les illustrations que l’on pouvait trouver dans les vieux manuels de jeux vidéo et les livres de règles de D&D (Donjons & Dragons).
Vous êtes tous deux, cela paraît clair, très attachés aux gameplays des années 80 et 90. Comment décririez-vous vos passés de gamers ? Quels sont les jeux qui vous ont le plus influencés ? À quels jeux récents avez-vous particulièrement aimé jouer ?
En ce qui me concerne, je joue aux jeux vidéo depuis l’époque de Pong et de Pacman. Même si j’ai fait plusieurs carrières complètes dans des domaines sans lien aucun avec le JV, je n’ai jamais cessé de m’y intéresser. Le jeu qui a été une véritable révélation pour moi, c’est Elite, de David Braben, sorti en 1984. Durant l’année qui vient de s’écouler, celui que j’ai préféré, c’est sûrement Chants of Sennaar.
J’aimerais savoir ce que vous pensez de l’état de l’industrie vidéoludique. En tant que joueur chevronné, je me suis lassé des triple A mainstream et préfère de loin explorer l’univers foisonnant des jeux indépendants. À quoi ressemblera, selon vous, le futur du jeu vidéo ? Les indés deviendront-ils le nouveau standard, du moins si la surproduction ne les étouffe pas ?
Ces dernières années, j’ai moi aussi été assez rebuté par les productions AAA. Je crois que les deux seules auxquelles j’ai vraiment consacré du temps dernièrement, ç’a été Cyberpunk 2077 et Elden Ring. Les jeux de plus petit calibre, un peu étranges, me passionnent beaucoup plus. Je ne suis pas sûr qu’ils deviendront mainstream, mais ils continueront certainement à infuser leurs idées dans les productions dites mainstream. Nombre de joueurs et de journalistes se plaignent en disant qu’ils souhaiteraient voir sortir plus de jeux créatifs, qui repoussent les frontières, mais la réalité fait que produire un roguelike ou un metroidvania vous rapportera toujours plus d’argent que de tenter de se lancer dans un projet réellement novateur.
Au sujet de l’IA, en tant qu’écrivain indépendant, je crains que son utilisation dans le domaine artistique ne finisse rapidement par tuer la créativité humaine tout en détruisant de nombreux emplois (écriture de scénarios, design graphique…). Quelle est votre opinion à ce sujet ? Avez-vous eu recours à des outils liés à l’intelligence artificielle lorsque vous avez développé Cryptmaster ? Est-ce devenu incontournable aujourd’hui ?
Bien que nous n’ayons fait aucun usage de l’IA lors de la création de Cryptmaster et n’ayons aucune intention de l’utiliser à l’avenir, personnellement je ne m’inquiète pas outre mesure en ce qui concerne l’IA générative. Je suis juste curieux de voir quelles seront ses possibles applications. On est encore loin d’être capable de reproduire la créativité humaine, dans la mesure où les IA ne font que recombiner des contenus produits par les humains et ne savent rien créer d’elles-mêmes. Lorsque j’apprécié une œuvre, quel que soit le domaine artistique, ce qui m’intrigue le plus, c’est de comprendre l’intention de l’auteur. Qu’est-ce que l’artiste essaie de nous dire ? De quelles expériences de vie tire-t-il son inspiration ? Quelles connexions puis-je établir entre lui et moi, deux être humains placés des deux côtés de l’œuvre ? Pour ce qui est des productions générées par IA, ces questions seront toujours stériles et le résultat, quel qu’il soit, ne m’intéressera jamais vraiment.
En conclusion, Lee, pouvez-vous me parler un peu de vos prochains projets ? Y en a-t-il déjà dans les tuyaux ? Allez-vous continuer à collaborer avec Paul, peut-être pour ajouter du contenu à Cryptmaster ?
Oui, nous allons très certainement continuer à collaborer ! Une mise à jour de Cryptmaster est déjà prévue, qui devrait sortir, on l’espère, avant la fin de l’année, puis nous passerons au projet suivant. Pour l’heure, nous ne savons pas du tout de quoi ça parlera !
Merci beaucoup pour le temps que vous m’avez consacré et pour cet aperçu très intéressant des coulisses de la création du jeu. Je suis très impatient de mettre la main sur vos prochains titres et, avant cela, de me replonger dans l’univers intrigant de Cryptmaster !
Florian Baude (Des Clics & des Lettres)
CRYPTMASTER (article sur le jeu)