Interview recueillie le 28 octobre 2024

Dans cette nouvelle interview sur DCDL, Paul Schnepf, développeur de l’excellent tower defense Thronefall (voir article ici) aux côtés de Jonas Tyroller, nous parle de la création du jeu et de leur studio Grizzly Games. Bonne lecture !

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Paul Schnepf et Jonas Tyroller (Grizzly Games)

Bonjour Paul, merci infiniment d’avoir accepté de répondre à quelques questions concernant ton jeu Thronefall, l’un des jeux indés les plus prenants parmi tous ceux que j’ai pu tester ces dernières années.

Tout d’abord, parlons de ton studio, Grizzly Games. De combien de personnes est-il constitué ? Quand, où et pourquoi a-t-il été créé ? Quelle est est ta nationalité et celle de tes collaborateurs ? Qui s’occupe de la partie artistique, du code, de la musique ou encore de l’aspect commercial ?

Nous ne sommes que deux à l’heure actuelle, Jonas et moi (Paul). Nous avons fondé Grizzly Games avec des potes étudiants (qui se sont ensuite orientés vers d’autres voies) durant nos études supérieures dans le domaine du game design à l’université HTW de Berlin. Au départ, on l’a fait pour publier Superflight, un jeu que nous avons créé dans le cadre de notre cursus. Jonas et moi, nous venons d’Allemagne. Pour Thronefall, Jonas s’est occupé des détails liés au game design et de la musique, tandis que de mon côté je me suis chargé de créer la majeure partie des graphismes et des effets spéciaux visuels. Nous nous sommes répartis équitablement tout le pan programmation.

Quels ont été vos parcours universitaires et professionnels à Jonas et à toi ? Travaillez-vous sur vos jeux à temps plein ou exercez-vous d’autres professions en parallèle ?

Nous avons tous les deux suivi la même formation au game design à l’université HTW de Berlin et nous travaillons depuis à temps plein sur nos jeux. Jonas gère également une chaîne YouTube (Jonas Tyroller) qui rencontre beaucoup de succès.

Lorsque j’ai découvert Thronefall, au premier abord, je me suis dit qu’il s’agissait d’un mix entre Age of Empires (l’économie, le système de combat) et Kingdom Two Crowns (les attaques nocturnes, les pièces à récolter et dépenser). Quelles ont été vos influences (si tant est que vous en ayez eu) ? Vous jouiez à quels jeux quand vous étiez gamins ou ados ? À quoi joues-tu aujourd’hui, si tu as encore le temps de jouer ?

Je suis content que tu le dises, parce que c’est à peu près ça que nous voulions faire avec Thronefall : combler un vide entre ces deux types de jeux. Nous apprécions tous les deux les STR traditionnels, mais ils ont tendance à nous asphyxier quelque peu. Nous voulions concevoir une expérience qui procurerait des sensations semblables tout en étant très accessible et moins consommatrice de temps sans pour autant y perdre en profondeur. Avant, quand j’étais plus jeune, je jouais à beaucoup de jeux multijoueurs compétitifs. Aujourd’hui, j’essaie de tester toutes sortes de jeux, mais en général je me cantonne à des expériences courtes. Ce qui me plaît le plus, c’est de me frotter à des jeux indés qui proposent des approches innovantes.

À propos du jeu lui-même, comment qualifierais-tu son style graphique et comment décrirais-tu la boucle de gameplay ? Quel moteur avez-vous utilisé ? Combien d’années au total avez-vous consacrées à l’élaboration du jeu ? Le résultat final correspond-il à l’idée que vous vous en faisiez au départ ?

Thronefall a été développé avec Unity. Le style graphique que nous avons choisi est lié aux ressources limitées dont nous disposions en tant qu’équipe se limitant à deux personnes (où aucun de nous n’est à proprement parler un artiste). Il fallait que ce soit à la fois simple à créer et lisible pour les joueurs. Pour ce qui est de la boucle de gameplay, nous nous sommes grandement inspirés de la série des Kingdom, mais nous souhaitions ajouter plus de profondeur dans les décisions stratégiques tout en proposant un gameplay plus riche en faisant migrer les mêmes principes dans un environnement en 3D. De façon très surprenante, la version finale du jeu est assez proche de ce que nous avions en tête avec le premier prototype. Il nous a fallu environ vingt-quatre mois pour arriver au bout.

J’ai découvert ton jeu il y a longtemps maintenant, au tout début de l’early access, lorsque seule une poignée de cartes était disponible, et je m’y suis replongé à chaque fois que du nouveau contenu était ajouté. Quels sont les avantages et les inconvénients d’une sortie en early access ? Les retours de la communauté Steam vous ont-ils aidés ?

Thronefall est le premier jeu que nous avons sorti en early access et nous sommes très heureux d’avoir pris cette décision. Lire tous les retours des joueurs et essayer de satisfaire tout le monde, c’était épuisant, mais notre communauté, très investie, nous a fourni un flot sans fin de critiques constructives et ce sont ces dernières qui ont permis à Thronefall d’évoluer tout au long de l’early access jusqu’à devenir le jeu, bien meilleur, qu’il est aujourd’hui.

Chaque nuit, sur chaque carte, est en fait constituée d’une série d’énigmes que le joueur doit résoudre. Elles sont parfois faciles, parfois corsées, et il y a en général plusieurs chemins possibles pour atteindre le succès. Ce qui rend Thronefall particulièrement addictif, c’est la qualité de ces défis en matière d’équilibrage. Sur l’ensemble de la période de développement, combien de temps et d’énergie avez-vous consacré à ces réglages ? Était-ce, d’une certaine façon, la partie la plus difficile ? Ces ajustements ont-ils reposé sur des raisonnements mathématiques ou ont-ils été réalisés de manière plus instinctive, en vous reposant sur les ressentis des joueurs ?

Oui, c’est clairement là-dessus que nous avons le plus bossé en ce qui concerne le game design. Je crois pouvoir affirmer que l’approche de Jonas n’a pas été si mathématique que ça, mais plutôt fondée sur des choix instinctifs, tout en prenant en considération les retours de la communauté.

Que penses-tu de la crise que traverse actuellement l’industrie du jeu vidéo ? Êtes-vous impactés chez Grizzly Games ? Les AAA semblent devenir de moins en moins rentables. Penses-tu que les jeux indés tels que Thronefall, faits avec amour et d’une envergure raisonnable, sont le futur de l’industrie vidéoludique ?

Elle ne nous impacte pas tellement, car nous ne dépendons d’aucun financement extérieur. Je ne pense pas que l’avenir du jeu vidéo repose exclusivement sur l’indé. Il y a clairement de la place pour les deux : les AAA et les indés.

L’IA fait désormais l’objet de débats enflammés. Quel est ton avis sur la question ? Est-ce un outil que tu utilises déjà ou que tu utiliserais volontiers ou bien considères-tu qu’il s’agit d’une menace qui à terme aura raison de la production artistique et de nombreux emplois ?

Selon moi, l’IA n’est vraiment utile que lorsqu’elle fait office de moteur de recherche amélioré, structurant et rendant accessible l’immensité du savoir cumulé par les êtres humains.

Pour conclure, pourrais-tu me parler un peu des autres jeux du studio ? Je veux dire ceux que vous avez sortis avant Thronefall. Qu’en est-il du futur du jeu lui-même ? Allez-vous ajouter d’autres cartes ou d’autres modes de jeu (perso, je préfère le classique, les quêtes A à F sur une carte, puis on passe à la suivante) ou est-ce une œuvre achevée ? Avez-vous déjà d’autres projets en tête ? Aimeriez-vous explorer d’autres genres ou vous cantonnerez-vous à celui que vous maîtrisez désormais parfaitement ?

Le développement de Thronefall est terminé et nous n’envisageons pas d’y ajouter de nouveau contenu. À l’avenir, nous pensons plutôt explorer de nouvelles idées et de nouveaux genres. C’est ce qui nous fascine le plus dans le monde du jeu indé et, jusqu’ici, nos jeux ont tous été très différents les uns des autres.

Merci infiniment, Paul, pour ces éclairages ! Je vous souhaite le meilleur, à Jonas et à toi, pour le futur de Grizzly Games !


Florian Baude (Des Clics & des Lettres)

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