Farandole de metroidvanias

Publié le 17 octobre 2024

J’ai découvert le genre du metroidvania plutôt tardivement, en me plongeant avec émerveillement, en 2018, dans la forêt enchanteresse d’Ori and the Blind Forest (Moon Studios, 2015). Conquis par le concept, j’ai enchaîné ensuite avec le pixellisé Axiom Verge (Thomas Happ Games, 2015), le coriace Hollow Knight (Team Cherry, 2017), Ori and the Will of the Wisps (Moon Studios, 2020), suite du premier, le mignon Haiku, the Robot (Mister Morris Games, 2022), Prince of Persia: The Lost Crown (Ubisoft Montpellier, 2024), renouveau d’une vieille franchise qui m’est chère et, l’été dernier, le conceptuel ANIMAL WELL (Billy Basso, 2024) (voir article ici).

Mais qu’est-ce qu’un metroidvania ? Il s’agit d’un jeu de plateformes, vu de côté ou du dessus, où le personnage que l’on incarne doit explorer un monde labyrintique dans lequel il se retrouve fréquemment confronté à des obstacles géographiques qu’il ne pourra franchir qu’une fois qu’il aura acquis les pouvoirs nécessaires. Typiquement, dans la première salle d’un metroidvania, le personnage pourra choisir de se diriger vers la gauche ou vers la droite, mais dans l’une des deux directions il se trouvera vite bloqué par un obstacle juste un peu trop haut pour qu’il puisse le franchir d’un bond. Il devra par exemple obtenir la faculté d’exécuter un double saut pour accéder à la moitié de la carte située de ce côté-là, ce qui ne sera peut-être possible qu’après de nombreuses heures de jeu. Les ennemis et les pièges environnementaux parsèment les couloirs arpentés par le héros et les compétences indispensables ou les plus puissantes (dash, capacité à escalader les murs ou à les traverser…) ne s’obtiendront qu’au prix d’affrontements épiques contre des boss plus ou moins retors. Les autres (gadgets, bonus d’attaque ou de vie, coups spéciaux…) pourront être achetées auprès des marchands rencontrés dans les différents biomes, moyennant un peu de monnaie in-game glanée, au fil des combats, sur les cadavres des ennemis (du moins lorsqu’un système de combats est proposé, ce qui n’est pas toujours le cas, comme nous allons le voir). Un metroidvania est en général un jeu de longueur moyenne, qui se boucle quelque part entre dix et trente heures, parfois plus, le temps total consacré au jeu dépendant grandement du fait que vous cherchiez ou non à dénicher tous les secrets et objets dissimulés dans les recoins les plus improbables de la map. L’appellation metroidvania elle-même provient de la fusion des noms des titres Super Metroid (Nintendo, 1994) (suite mémorable de l’ancêtre Metroid (Nintendo, 1986)) et Castlevania – Symphony of the Night (Konami, 1997), jeux fondateurs ayant défini les bases du genre.

Si ses principes ne datent pas d’hier et ont déjà été revisités à maintes reprises par des ténors du genre, le metroidvania continue de séduire les joueurs autant que les auteurs qui ne cessent d’enrichir la catégorie correspondante sur Steam de nouvelles pépites. Kyle Thompson, un développeur solo américain de 32 ans, est l’un d’entre eux. Depuis 2020, il nous livre tous les deux ans une nouvelle production de haute volée. Je vous propose un petit passage en revue de son œuvre, dans l’ordre chronologique, illustrations à l’appui.



Sheepo (26 août 2020)

Kyle Thompson sort son premier jeu, un metroidvania donc, à la fin de l’été 2020. Il le baptise Sheepo. On y incarne un petit mouton sans bras chargé d’explorer la planète Cebron afin d’y récolter un œuf de chaque espèce locale dans le but d’enregistrer les échantillons prélevés dans une vaste base de données des espèces de tous les mondes habités. Une extinction de masse à l’échelle galactique est si vite arrivée… Une entreprise de préservation qui ne sera pas sans risques, car les reines des différents biomes ne se laisseront pas chiper leur progéniture sans tenter de réduire le frêle Sheepo à néant. Enfin, frêle, pas tant que ça, car si le mouton, pacifiste, est incapable d’attaquer ses adversaires, il n’en est pas moins adroit pour bondir de plateforme en plateforme et éviter les projectiles envoyés par les ennemis. Et ce n’est pas tout. Chaque œuf dérobé lui permet de se transformer, par contact, pendant quelques secondes, en un individu de l’espèce en question. Par exemple, le premier boss est une mère oiseau (une sorte de cigogne). Une fois défaite, son œuf nous donne la possibilité de prendre possession d’un volatile et de battre brièvement des ailes pour franchir un obstacle autrement insurmontable. De même, l’œuf de la mère ver de terre nous octroie la possibilité de naviguer sous terre en nous morphant de lombric en lombric. Ces différents pouvoirs acquis au fil de l’aventure garantissent une grande variété dans le gameplay. La DA est magnifique, avec de somptueux effets de lumières, ce qui est d’autant plus remarquable lorsque l’on sait qu’il s’agit d’une première production solo. Comme pour les deux jeux suivants de Kyle Thompson, son frère Eric est l’auteur de l’OST. Les musiques, plutôt discrètes et sobres, s’accordent très bien avec le côté plutôt chill d’un titre dans lequel les moments de forte tension sont distillés avec parcimonie. L’aventure se boucle en moins de cinq heures.


Islets (24 août 2022)

Presque deux ans jour pour jour après la sortie de Sheepo, Kyle Thompson livre son deuxième opus, intitulé Islets, deux fois plus long que son prédécesseur. On y retrouve toutes les caractéristiques des metroidvanias déjà présentes dans Sheepo, mais cette fois les combats s’invitent à la fête. Armé d’une épée et d’un arc, Iko, une sorte de petit rongeur, habitant d’un monde volant, suspendu dans les airs, peuplé d’animaux anthropomorphes, rêve de devenir un grand guerrier. Pour ce faire, il se lance dans une quête pour le moins ambitieuse : réunir les îles du royaume en réactivant les cœurs magnétiques qui autrefois leur permettaient de rester soudées les unes aux autres. Pour se déplacer d’île en île, il utilise une sorte de caisse à savon munie d’hélices qu’il sera possible d’améliorer. Dans l’espace interinsulaire se trouvent quelques commerçants vendant diverses améliorations, mais aussi des pirates dont la rencontre à plusieurs reprises donne lieu à des combats aériens en mode bullet hell. Dès lors que l’on parvient à accrocher deux îles ensemble, des connexions inattendues se créent sur la map et les passages fraîchement ouverts offrent de nouvelles perspectives. Au fil de la progression, on fait connaissance avec plusieurs personnages, l’idée étant de nouer des liens tout en rassemblant les morceaux d’un territoire éparpillé. Si la patte graphique semble au premier abord un peu grossière, voire naïve, on se laisse vite toucher par le côté dessin d’enfant de l’ensemble, aux couleurs vives et luxuriantes rappelant des aquarelles. Avec une difficulté toujours bien dosée et des personnages altruistes, Kyle Thompson sait accueillir ses joueurs et fait tout qu’ils se sentent à leur aise en parcourant les méandres de ses créations.


Crypt Custodian (27 août 2024)

Dernière production en date de l’auteur, Crypt Custodian est selon moi son jeu le plus abouti. Toutes les qualités de ses œuvres précédentes sont au rendez-vous et plus encore. Le héros est un chat, Pluto. Au début du jeu, il se fait écraser par une voiture et se retrouve au Paradis. Ou plutôt à proximité des portes du Paradis. Là, il trouve un balai dont il se sert pour briser quelques statues qui lui barrent la route. Arrivé devant la grille, il rencontre Kendra, le fantôme d’une grenouille chargée d’évaluer son existence terrestre afin de déterminer si oui ou non il mérite d’accéder à l’Éden. Pluto était un pauvre chat errant recueilli par des humains auprès desquels il a vécu une existence heureuse jusqu’à son funeste accident. Kendra s’apprête à lui ouvrir les portes, puis change d’avis à la dernière minute en découvrant que Pluto a cassé ses précieuses statues quelques minutes auparavant. Pour ce simple motif, elle le condamne à passer l’éternité à nettoyer les ordures qui jonchent les abords du Paradis. Du fait que nous n’aurions pas pu nous présenter devant Kendra sans dégager le chemin, cela a tout d’une injustice et c’est avec un goût amer que l’on se met à explorer les alentours tout en nous acquittant de notre vil labeur. Rapidement, on rencontre d’autres âmes condamnées à errer. L’une d’entre elles, celle d’un autre chat nommé Grizz, nous propose un plan : creuser un trou sous la grille entourant le Paradis afin d’y pénétrer malgré l’interdiction. Pour y parvenir, il nous faudra réunir dix fantômes, après les avoir convaincus du bien-fondé de notre entreprise, afin qu’ils nous aident à excaver la terre. D’où diverses missions à remplir, plusieurs zones à débloquer en obtenant le pouvoir adéquat et de nombreux combats de boss en perspective, avec des mécaniques proposant de multiples variations autour du bullet hell (pas de parades, juste des frappes et des esquives). Notre balai restera notre seule arme du début à la fin de l’aventure, agrémenté cela va de soi de nombreuses améliorations (coups plus forts, coups spéciaux, mode boomerang…), certaines s’obtenant après avoir défait un boss et d’autres en se rendant chez le marchand situé au centre de la map (les déchets ramassés dans les environnements ou lors des combats servent ici de monnaie). Contrairement aux deux précédents titres de Thompson, Crypt Custodian se joue en vue du dessus (un peu en biais) et non en 2D vue de côté. L’envergure n’est pas non plus la même. Il faudra cette fois compter une vingtaine d’heures pour atteindre le générique de fin en ayant fait toutes les quêtes secondaires (il serait dommage de passer à côté). Si vous devez n’en faire qu’un seul sur les trois, je ne peux que chaudement vous recommander de vous lancer dans celui-là !



En bref, Kyle Thompson est un créateur à suivre de près. Un quatrième jeu est en développement. Si l’artiste parvient à maintenir son rythme de production, on peut même l’espérer pour août 2026 !


J’ai eu la chance de pouvoir interviewer Kyle. L’entretien est à lire PAR ICI !


Quelques liens utiles :

Le site web de Sheepo.

Le site web d’Islets.

Le site web de Crypt Custodian.

La page de Kyle Thompson sur X.

La page Steam de Kyle Thompson.

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