Métro, claustro, loco
Publié le 10 février 2025
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Les années passant, les contraintes se multiplient dans la vie de n’importe quel joueur passionné et, même si l’envie est toujours là, il devient compliqué de se lancer dans des expériences vidéoludiques de plusieurs dizaines ou centaines d’heures. J’ai moi-même de plus en plus tendance (petit mensonge) à privilégier les aventures s’étirant sur cinq à huit heures pas plus. Et quand le voyage ne dure qu’une heure tout en étant riche et marquant, c’est encore mieux !
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En lançant The Exit 8, production atypique du studio japonais Kotake Create sortie sur Steam le 29 novembre 2023, je ne m’attendais pas à grand-chose. Alors que je pensais n’avoir affaire qu’à une petite bizarrerie vite oubliable parmi tant d’autres, je me suis pris une belle petite claque dès les premiers instants. Le jeu se présente sous la forme d’un huis clos doublé d’une boucle infinie. Je m’explique. En vue à la première personne, tout commence dans un couloir de métro semblable à tous les couloirs de métro du monde. Froid, impersonnel, tout de métal et de béton, où seuls quelques affiches publicitaires et panneaux indicateurs viennent accrocher le regard du travailleur ou du promeneur en transit. On y croise tout de même un de nos semblables, attaché-case dans une main et smartphone dans l’autre, marchant dans l’autre direction. Il nous ignore superbement. Pour cette fois, du moins. Arrivé au bout du corridor, on tourne à droite, puis à gauche, puis à droite, sur quelques mètres, et… On retombe sur exactement le même couloir ! On fait une nouvelle tentative, recroise notre semblable impassible en tenue de bureau, puis on débouche au point de départ. Et si on tentait de rebrousser chemin ? On fait demi-tour… Et cela ne change rien. On se retrouve dans le même maudit couloir qui semble se répéter à l’infini, toujours dans la même disposition, quelle que soit la façon dont y est entré. Il doit y avoir un truc. Concentrons-nous sur les détails. Un panneau, au plafond, indique que l’on se dirige vers la sortie 8. L’objectif de la partie est de débusquer cette satanée sortie afin d’arrêter de tourner en rond. En y regardant de plus près, avant d’entrer dans le couloir, un écriteau annexe précise que l’on se dirige vers la sortie numéro 0. Parfois il indique 1, puis 2 la fois suivante et 0 de nouveau. On comprend qu’il va falloir trouver un moyen de faire grimper le compteur jusqu’au 8 tant convoité. C’est alors qu’on remarque une discrète affichette qui nous enjoint de faire demi-tour sans attendre dès que l’on détecte une anomalie. Une anomalie ?
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C’est à ce moment que le titre bascule du malaisant (déambuler dans un couloir de métro désert où l’on n’entend que ses propres bruits de pas et ceux d’un anonyme qui ne nous calcule même pas, ça ne détend pas spécialement) dans l’horreur psychologique. Pas tant du fait de ce qu’il se passe à l’écran, mais plutôt de la pression à laquelle la mécanique de jeu soumet le joueur. On ne détecte d’abord que les anomalies les plus évidentes (l’homme marche beaucoup plus vite que les fois précédentes, un bruit d’eau qui coule envahit l’espace sonore, les affiches collées au mur sont toutes devenues identiques…). On fait alors demi-tour et l’on voit le compteur augmenter sur le mur. Parfait. Au passage suivant, rien n’a changé. Nickel. Un + 1 gratuit ? Et, non, zut, c’est le retour au numéro 0… Chaque erreur (on avance alors qu’il y avait une anomalie ou on fait volte-face alors que rien n’avait changé) se paie par une réinitialisation des progrès accomplis jusque-là. Pour éviter de spoiler, je ne ferai pas la liste des anomalies mineures, mais certaines sont vraiment difficiles à déceler et, même si le jeu se plie en cinq minutes une fois tout son contenu assimilé, il faudra compter environ une heure pour en voir le bout, avec un grand nombre de retours à la case départ. C’est là toute la force de The Exit 8. Ce n’est pas tant l’aspect quelque peu horrifique de certains événements qui génère peur et anxiété, mais plutôt la crainte de s’être trompé et de voir sa progression réduite à néant. Enfermé dans ce couloir à l’atmosphère glaçante, on se met vite à manquer d’air et le désir se fait de plus en plus intense d’enfin trouver la tant convoitée sortie numéro 8.
La proposition finalement toute simple des développeurs de Kotake Create, quelque part entre walking sim, puzzle game et survival horror (certaines anomalies peuvent vous tuer si vous ne fuyez pas assez vite dans le direction opposée), fonctionne à merveille. Tant et si bien qu’on en redemanderait presque. Et cela tombe bien, car le studio a remis le couvert quelques mois plus tard avec une nouvelle itération de son concept, dans la continuité du premier.
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Le 31 mai 2024 paraît Platform 8. On y retrouve la même patte graphique, à visée photoréaliste, et un nouvel éventail d’anomalies à appréhender. Cette fois, on se trouve à bord d’une rame en mouvement et l’on progresse de wagon en wagon, toujours vers l’avant du train. Impossible de faire marche arrière. On commence assis sur l’une des banquettes du wagon de queue. On se lève et l’on remonte progressivement, tombant encore et encore sur le même décor. Un paysage indistinct qui défile à l’extérieur, des publicités écrites en anglais et en japonais accrochées au plafond ou collées entre les vitres, un passager semblable à l’homme du jeu précédent, assis dans un coin et absorbé par l’écran de son téléphone… Pour passer d’une voiture à l’autre, il faut activer deux portes électroniques parallèles et coulissantes. Parfois, un détail change et d’autres entités se matérialisent au moment où l’on change de voiture. Une petite fille flippante (comme toutes les gamines faisant des apparitions inopinées dans des contextes de base anxiogènes) qui veut jouer à cache-cache, une foule de passagers dont les corps semblent agités de glitches, un mannequin immaculé qu’il ne faut surtout pas quitter du regard ou encore une main géante qui tente de vous saisir. Le but n’est pas cette fois de détecter les anomalies (elles sont toutes manifestes), mais plutôt d’apprendre comment éviter qu’elles nous tuent. Tombez dans l’un des pièges tendus et c’est le retour à la case départ et le début d’un nouveau périple. Survivez suffisamment longtemps et le droit vous sera enfin accordé de débarquer sur le quai. Le numéro 8, bien entendu (attention à ne pas descendre au mauvais endroit !). Ne reste plus qu’à trouver la sortie…
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Platform 8 se termine en environ une heure également, le temps de faire connaissance avec tout ce qui peut vous occire et de comprendre comment contrer les différentes anomalies. Le jeu, avec son atmosphère à la Cube (film d’épouvante de Vincenzo Natali, 1997), est un peu moins inspiré que son prédécesseur, mais vaut tout de même le détour pour qui a apprécié le premier opus. Je recommande chaudement The Exit 8, tour de force dont le concept à la fois simple et puissant vaut largement son détour d’une heure et la poignée d’euros demandée. Kotake Create prépare à l’heure actuelle un nouveau titre intitulé Strange Shadow. Il y sera question de course poursuite avec des créatures titanesques (dont on sera la proie) dans un univers SF post-apo bien glauque. On a hâte !
Quelques liens pour compléter :