En PLS devant le FPS d’LFS !
Publié le 10 janvier 2025
La presse jeu vidéo française, florissante dans les années 90, peine à rester debout face à la concurrence d’Internet et au désamour des joueurs et de la population en général vis-à-vis de l’écrit et des supports papier. Trop de sollicitations, beaucoup d’écrans, les gens n’ont plus le temps. Malgré une forte diversification des formats utilisés pour diffuser leurs tests, analyses, interviews et enquêtes (vidéos, podcasts, présence active sur les réseaux sociaux…), les journalistes professionnels spécialisés dans le domaine sont aujourd’hui peu nombreux. Lecture assidu de la presse JV depuis une quinzaine d’années, je me suis quelque peu attaché à certains d’entre eux. Lorsque vous lisez, écoutez et suivez les recommandations souvent pertinentes d’un ou d’une journaliste tous les mois, voire chaque semaine depuis une décennie ou plus, vous finissez par le ou la considérer comme un pote, même si cette camaraderie est à sens unique. C’est ainsi que je considérais Puyo, Le Père Fidalbion, Luma et consorts que je retrouvais chaque samedi matin dans Gamekult L’Émission, avant qu’un racheteur à l’éthique douteuse (Reworld Media) ne vienne donner un dernier coup de sabre dans la coque d’un navire qui menaçait depuis déjà longtemps de couler, poussant les derniers braves à jeter définitivement l’éponge. C’est aujourd’hui encore le sentiment que j’éprouve pour leurs rédacteurs lorsque je tourne avec voracité, tous les mois, les pages de JV Le Mag et de Canard PC, rescapés que j’espère voir se maintenir à flots durant encore, pourquoi pas, plusieurs longues décennies. Je me souviens d’une vive conversation que j’ai eue un jour avec un ami lorsque j’étais encore étudiant. Il ne me croyait pas lorsque je lui disais que les articles des magazines de jeu vidéo étaient en général d’une grande qualité littéraire et qu’on ne pouvait pas en réduire les auteurs à de simples gamers donnant leur avis sur les jeux à la mode dans un français approximatif. Certains sont même de vrais touche-à-tout. Parfois professeurs d’université en parallèle, anciens travailleurs de l’industrie du jeu vidéo ou artistes à leurs heures perdues. Ambroise Garel, membre de la rédaction de Canard PC depuis une quinzaine d’années et maître de cérémonie du podcast Scroll News, apprécié pour sa verve et sa causticité, fait partie de cette catégorie.
Amateur de jeux expérimentaux qu’il extirpe des tréfonds d’itch.io, de weird fiction (récits d’horreur ou fantastiques peuplés de créatures non conventionnelles) et d’ambiances lovecraftiennes regorgeant de tentacules, celui qui se fait appeler Louis-Ferdinand Sébum (LFS) dans CPC et Agar (contraction de son nom) partout ailleurs s’adonne volontiers à l’écriture d’invention et aux expérimentations vidéoludiques. Après avoir fait ses armes sur quelques prototypes disponibles sur itch, il sort le 23 septembre 2024 sur Steam son premier jeu en version 1.0 après une période d’early access de quelques mois. Il s’intitule The Tome of All Tales et, alors que je croyais qu’il ne s’agirait que d’un prétexte de la part de son créateur pour découvrir l’envers du décor de l’incontournable plateforme, nous avons en réalité affaire là à un véritable jeu indé, très abouti, riche, sans bugs et très agréable à pratiquer ! Expliquons-en les principes.
The Tome of All Tales est un jeu de tir en vue à la première personne très old school. Ce que l’on appelle désormais communément un boomer shooter, c’est-à-dire un FPS avec des mécaniques de tir rappelant les jeux de ce genre des années 90, le tout agrémenté de graphismes rétro (gros pixels exigés). Ici, LFS nous propose une revisite du vénérable Wolfenstein 3D (id Software, 1992). Mêmes labyrinthes aux textures un peu baveuses, même ciel semblant glisser au-dessus du décor, mêmes portes systématiquement coulissantes, même impossibilité de viser en dehors d’un axe horizontal (d’où une grande permissivité quant à la précision verticale), le tout se contrôlant à l’aide du classique combo ZQSD / souris, et même utilisation frénétique du circle strafing (déplacement latéral tout en tournant autour de l’ennemi en lui tirant dessus). Cinq niveaux de difficulté sont proposés, allant de très facile à très difficile (en normal, c’est déjà bien vénère !). Une partie, qui se boucle en quelques minutes, consiste à venir à bout de quatre maps consécutives, ce qui peut impliquer, selon les cas, de simplement trouver la sortie, de tuer le boss de chaque niveau ou d’abattre un nombre minimal d’ennemis. Car c’est là tout ce qui fait le sel de The Tome of All Tales. Les environnements changent tous les jours. Aujourd’hui, disons un jeudi, vous incarnerez un commando d’élite affrontant des terroristes au fond d’une mine d’uranium et tous les joueurs qui joueront ce jour seront confrontés à la même ambiance et aux mêmes ennemis qu’ils affronteront dans exactement les mêmes couloirs, avec exactement les mêmes armes et les mêmes power-ups (invincibilité provisoire, ralentissement du temps, auto-heal, life leech…). Mais demain vendredi, c’est au cœur des tranchées que vous serez plongés, pour y affronter des hordes de soldats zombifiés. À moins que des extra-terrestres ne s’invitent à la fête pour vous désintégrer à coups de pistolets laser ou que vous ne soyez assailli par des hordes de squelettes claudicants. Ce renouvellement quotidien des décors, du bestiaire, de l’arsenal et de l’intrigue sommaire proposée en début de jeu dans le livre liminaire que l’on ouvre au lancement (le fameux « Tome de Toutes les Histoires ») se fait automatiquement, de manière procédurale. L’algorithme (invisible pour le joueur, bien sûr) pioche dans une banque d’univers, d’époques (Antiquité, Moyen-Âge, Far West, époque industrielle, SF futuriste…), d’armes et de personnages, au hasard, tous les éléments nécessaires pour construire le scénario du jour (à minuit et il restera dispo pendant 24 heures) et génère la structure des quatre cartes à grand renfort de poudre de perlimpinpin combinatoire. Le titre invite ainsi le joueur à venir se confronter régulièrement aux nouveaux défis qu’il propose, pour le plaisir de s’immerger dans de nouvelles atmosphères, mais pas que.
En effet, au-delà de sa nature première de shooter, The Tome of All Tales est aussi un jeu de scoring et c’est cette caractéristique qui le rend particulièrement accrocheur. Dans le menu, l’une des pages du livre est consacrée aux classements des joueurs (quotidien, de la veille, mensuel et global depuis la sortie du soft). Le titre étant pour le moment encore un peu confidentiel, on y retrouve souvent les mêmes pseudos de fidèles gâchettes. Pour marquer beaucoup de points, il faut enchaîner les frags le plus rapidement possible, nettoyer au maximum les cartes avant de les quitter et, bien sûr, jouer à un niveau de difficulté élevé. Le gun feel est satisfaisant, avec de bonnes sensations d’impact quelle que soit l’arme utilisée (flingues avec plus ou moins de patate, armes blanches, lance-flammes, lance-roquettes…). Chaque jour, deux armes sont proposées : une de faible puissance pour gérer, en gros, la première moitié du run et une plus pêchue, additionnelle, pour faire face aux adversaires plus retors de la seconde. Encore une fois, pour grimper dans les échelons du leaderboard, il faudra s’accrocher. Comme dans tous les jeux un tant soit peu compétitifs, il y a toujours quelques fous pour tryhard H24…
Variété dans tous les domaines, gameplay précis et rythmé, DA rétro minimaliste mais soignée qui ravira les nostalgiques, musique un peu angoissante (juste ce qu’il faut pour rajouter un peu de pression) et classements pour motiver les troupes et les vétérans du genre, LFS, journaliste de son état (et très occupé chez CPC !), n’a pas fait les choses à moitié. Voilà un homme qui sait exploiter efficacement ses heures de liberté ! Un jeu développé en solo, qui plus est, cela suscite immanquablement l’admiration. The Tome of All Tales vaut largement ses 7 euros sur Steam et saura vous divertir durant quelques heures. À déguster par petites bouchées de dix minutes pour le goûter ou l’apéro post journée de boulot ! Be advised, LFS ayant tout de suite voulu cibler un succès planétaire, le jeu est proposé exclusivement en anglais.
J’ai eu la chance de pouvoir interviewer Agar. L’entretien est à lire ici :
Quelques liens pour compléter :
Le site personnel d’Agar : https://ambroisegarel.com/.
Le site officiel du jeu : https://thetomeofalltales.com/.
La page Steam de The Tome of All Tales : https://store.steampowered.com/app/3059350/The_Tome_of_All_Tales/?l=french.
Le site du magazine Canard PC : https://www.canardpc.com/.
The Tome of All Tales sur itch.io : https://akaagar.itch.io/the-tome-of-all-tales.